L’affaire des « viols de Mazan » : à la frontière du consentement

Le récent procès qui s’est tenu à Avignon pour juger les personnes suspectées d’avoir commis des viols à Mazan à l’encontre de Gisèle Pélicot, a mis en lumière l’importance de la notion de consentement à la relation sexuelle.
Caroline Poiré, avocate au barreau de Bruxelles (formée à la prise en charge des victimes de violences sexuelles et intrafamiliales), nous expose ci-dessous ce qu’il en est en droit belge, qui a connu une importance réforme en la matière en 2022.
Sur ce procès de Mazan et notamment sur les réactions qu’il a suscitées dans le public, il est également renvoyé à la vidéo de l’interview donnée par Françoise Tulkens, ancienne vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme et professeur honoraire de droit pénal à l’UCLouvain, publiée ce jour sur Questions-Justice. Cette interview aborde également le principe fondamental de l’individualisation et de la proportionnalité des peines dans le procès pénal.

La violence sexuelle et la notion de consentement

1. D’un côté, une victime : Gisèle Pelicot. De l’autre, des hommes condamnés par la Cour criminelle du Vaucluse pour l’avoir violée alors qu’elle a été droguée par son mari, Dominique Pelicot.
Le procès dit des « viols de Mazan » nous a montré à quel point les violences sexuelles font partie intégrante de notre société et qu’il existe encore un certain nombre de mythes concernant à la fois le viol, les violeurs et les victimes qui nous empêchent de penser la diversité des situations de violences sexuelles.

2. Quelques mois plus tôt, la France s’était distinguée de bon nombre des États européens en s’opposant à ce que le législateur européen érige une définition commune du viol fondée sur le consentement.
L’État français estimait devoir maintenir une définition pénale du viol fondée sur la violence, la contrainte, la menace ou la surprise.

Qu’en est-il en Belgique ?

3. En Belgique, le législateur n’a pas attendu l’émergence d’un débat européen pour appréhender la notion pénale du viol sous le prisme du consentement.
En effet, par l’adoption de la loi du 21 mars 2022 ‘modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel’, le législateur a défini les contours de la notion de consentement et ainsi a permis de clarifier la différence entre sexualité et violence.

La définition du consentement

4. Le nouveau Code pénal sexuel définit expressément le consentement à l’article 417/5 du Code pénal :

  • le consentement suppose avoir été donné librement ;
  • il ne peut être déduit de la simple absence de résistance de la victime : en effet, on a pu s’apercevoir que souvent les victimes de violences sexuelles n’opposent pas de résistance physique à leur agresseur pour un certain nombre de raisons d’ordre psychologique, notamment l’état de sidération ou par peur de la violence de l’auteur de l’acte ;
  • le consentement peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte à caractère sexuel ; le fait qu’une victime puisse avoir consenti à un acte à caractère déterminé n’implique pas en soi le consentement à un autre acte.

En tout état de cause, le consentement sera apprécié par les cours et tribunaux au regard des circonstances de l’affaire. Le juge conserve donc un pouvoir souverain dans l’appréciation des éléments du dossier pour conclure ou non à l’absence de consentement dans le chef de la victime.

Les hypothèses d’absence de consentement

5. Le législateur de 2022 a également tenu une liste plus précise de comportements élusifs du consentement. Les hypothèses retenues ne constituent toutefois pas une énumération limitative et exhaustive. Il n’y a donc pas de consentement :

  • lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une situation de handicap, altérant le libre arbitre ;
  • si l’acte à caractère sexuel résulte d’une menace, de violences physiques ou psychologiques, d’une contrainte, d’une surprise, d’une ruse ou de tout autre comportement punissable ;
  • lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis au préjudice d’une victime inconsciente ou endormie.

La charge de la preuve

6. Il revient au ministère public ou à la partie civile (la victime) d’établir que cette dernière n’a pas consenti aux actes à caractère sexuel commis sur sa personne.
Comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, en son arrêt M.C. c. Bulgarie du 4 décembre 2003, bien qu’il puisse parfois se révéler difficile de prouver l’absence de consentement, les autorités poursuivantes n’en ont pas moins l’obligation d’examiner tous les faits et de statuer après s’être livrées à une appréciation de l’ensemble des circonstances.
Toutefois, en cas de doute, les droits de la défense doivent jouer pleinement et le prévenu doit être mis hors de cause.

Les restrictions à la faculté de consentir des mineurs

7. Les mineurs d’âge de moins de seize ans accomplis sont réputés ne pas avoir la possibilité d’exprimer librement un consentement. Cette présomption est irréfragable de sorte qu’elle ne peut être renversée.
La présomption d’absence de consentement des mineurs âgés de moins de seize ans connait toutefois, d’une part, deux tempéraments qui concernent les mineurs âgés de quatorze et de quinze ans accomplis (article 417/6, § 2, du Code pénal) et, d’autre part, des cas d’extension à tous les mineurs prévus à l’article 417/6, § 3, du Code pénal et, d’autre part. Ces textes sont en effet rédigés comme suit :

  • « § 2. Un mineur qui a atteint l’âge de quatorze ans accomplis mais pas l’âge de seize ans accomplis, peut consentir librement si la différence d’âge avec l’autre personne n’est pas supérieure à trois ans.
    Il n’y pas d’infraction entre mineurs ayant atteint l’âge de quatorze ans accomplis qui agissent avec consentement mutuel lorsque la différence d’âge entre ceux-ci est supérieure à trois ans.
  • § 3. Un mineur n’est jamais réputé avoir la possibilité d’exprimer librement son consentement si :
  1. l’auteur est un parent ou un allié en ligne directe ascendante, ou un adoptant, ou un parent ou un allié en ligne collatérale jusqu’au troisième degré, ou toute autre personne qui occupe une position similaire au sein de la famille, ou toute personne cohabitant habituellement ou occasionnellement avec le mineur et qui a autorité sur lui, ou si
  2. ° l’acte a été rendu possible en raison de l’utilisation, dans le chef de l’auteur, d’une position reconnue de confiance, d’autorité ou d’influence sur le mineur, ou si
  3. ° l’acte est considéré comme un acte de débauche ou un acte de prostitution […] ».

Conclusion

8. S’il était nécessaire de définir la notion de consentement, compte tenu des exigences internationales et européennes, il est aussi important de souligner que le droit pénal ne peut être le seul moteur d’un changement de mentalités. En effet, la réforme du droit pénal sexuel doit absolument s’accompagner de moyens renforcés pour les différents acteurs de terrain.
Une meilleure écoute et prise en considération des victimes, en dépit de leurs difficultés et de leurs contradictions par les différents acteurs de la chaine judiciaire, est indispensable afin de leur permettre, au regard des éléments de preuve recueillis dans le cadre de l’enquête, une reconnaissance de l’absence de consentement dans leur chef.


Article original publié sur Justice-en-ligne

Photo de Nadine E sur Unsplash

Caroline Poiré
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