Dans l’affaire Van Espen, les parents de Julie Van Espen, la jeune fille violée et assassinée par un homme qui était alors en liberté alors qu’il aurait dû être jugé à ce moment pour des faits graves commis antérieurement, ont invoqué la responsabilité de l’État belge et ont introduit une procédure contre lui devant le Tribunal de première instance de Bruxelles. Dans son jugement, le Tribunal a écarté toute responsabilité des juges. Il a revanche décidé que des erreurs ont été commises par la Cour d’appel d’Anvers. Il écrit : « Ces erreurs sont en partie imputables au pouvoir exécutif, qui n’a pas su veiller à ce que la Cour d’appel d’Anvers ne bénéficie d’une quantité suffisante de personnel, et qui ont ainsi définitivement privé la famille Van Espen de la possibilité d’éviter la perte de leur fille et de sa sœur ». La responsabilité de l’État belge est ainsi reconnue par le Tribunal. L’État a déclaré qu’il n’irait pas en appel de la décision.
Cet évènement est l’occasion pour Dominique Mougenot, juge au Tribunal de l’Entreprise du Hainaut et maître de conférences à l’Université de Namur, de revoir les principes qui gouvernent la responsabilité de l’État.
1. De manière générale, pour que la responsabilité d’une personne puisse être engagée, il faut trois éléments : une faute commise par le responsable, un dommage subi par la victime et un lien causal entre la faute et le dommage (la responsabilité n’existe pas si le dommage ne découle pas de la faute ou se serait quand même produit sans cette faute).
2. Pour rappel, le fonctionnement de l’État repose sur différents pouvoirs : le pouvoir législatif (le Parlement), qui fait les lois ; le pouvoir exécutif (le Gouvernement et les différentes administrations), qui applique les lois, et le pouvoir judiciaire (les cours et tribunaux), qui tranche les litiges qui apparaissent dans l’exécution des lois.
La responsabilité de l’État peut être engagée par des actes de chacun des pouvoirs.
I. La responsabilité du pouvoir exécutif
3. En ce qui concerne le pouvoir exécutif, la responsabilité de l’État peut résulter de fautes du Gouvernement ou de l’administration. C’est ce que dit explicitement le Tribunal dans l’affaire Van Espen.
L’État peut être rendu responsable des fautes commises par les fonctionnaires ou agents de l’État. Ces fonctionnaires ne sont pas personnellement responsables, sauf en cas de dol (faute impliquant la mauvaise foi), la faute grave ou une faute légère habituelle (répétitive). Le régime de la responsabilité des pouvoirs publics est ainsi aligné sur celui des employeurs du secteur privé.
Mais, même si on n’arrive pas à épingler la faute d’un fonctionnaire précis, la responsabilité de l’État peut néanmoins être retenue. Il suffit de prouver que l’administration (peu importe le véritable responsable en son sein) a commis une faute. Soit elle ne s’est pas comportée comme une administration normalement prudente et soigneuse, placée dans les mêmes conditions, soit elle a commis une illégalité (elle a violé une loi ou toute autre norme applicable en Belgique).
Dans tous les cas, il faut que la faute de l’administration ait occasionné un dommage pour la victime.
II. La responsabilité du pouvoir judiciaire
4. La responsabilité de l’État pour les actes du pouvoir judiciaire peut également être établie. Ce point a déjà été examiné en détail dans l’article suivant, précédemment publié sur Justice-en-ligne : D. Mougenot, « Comment se règle la responsabilité de l’État ou des magistrats eux-mêmes en cas de faute de leur part ? ».
On peut résumer ce régime comme suit.
Tout comme le fonctionnaire, le magistrat (juge ou procureur) ne supporte habituellement pas de responsabilité personnelle en cas de faute. C’est l’État belge qui indemnisera la victime de la faute et pas le juge.
Il existe quelques cas dans lesquels la responsabilité personnelle du magistrat peut être engagée. Ces hypothèses sont plus restrictives que celles dans lesquelles un fonctionnaire ordinaire peut être déclaré personnellement responsable (on ne tient pas compte de la faute légère habituelle, par exemple).
5. Lorsque la responsabilité résulte d’une faute commise dans une décision judiciaire (jugement…), plusieurs conditions doivent être rencontrées :
- La décision doit avoir été mise à néant (annulée en quelque sorte) dans le cadre d’un recours (opposition, appel, cassation, etc.). C’est lié au fait qu’une décision judiciaire (même mauvaise) est supposée exprimer la vérité. Pour considérer qu’un juge a commis une faute, il faut donc d’abord supprimer la décision qu’il a rendue.
- Il faut en outre démontrer que le juge n’a pas respecté une règle lui imposant un comportement déterminé (par exemple, il a accordé au demandeur plus que ce qu’il demandait), soit il ne s’est pas comporté comme l’aurait fait un juge normalement attentif et diligent, placé dans les mêmes circonstances.
Dans le cas de l’affaire Van Espen, le tribunal a donc considéré que le pouvoir exécutif a commis des fautes qui ont eu pour résultat que l’assassin de Julie est resté en liberté et a donc pu commettre son acte mortel. La responsabilité de l’État est ainsi établie.